E.Macron, E.Philippe : cap, méthode et addition

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Le discours du chef de l’Etat, le 3 juillet à Versailles, lieu symbolique s’il en est, ne manquait ni de cérémonial ni de solennité. Il aurait pu s’intituler « Éloge du libéralisme » même si le mot n’a été prononcé qu’une fois, furtivement.

Un long monologue très élitiste sur le cap et la méthode qui illustrent l’hyper-présidentialisation de la Vème République, renforcée par la majorité législative qui vient d’être élue, certes légitimement mais par défaut si l’on veut bien considérer les 58% d’abstentionnistes et les 24% seulement d’adhésion au programme de Macron au 1er tour de la présidentielle.

Il le reconnaît à sa manière, quand il dit que « la représentativité reste un combat inachevé… » et qu’il va introduire dès 2022, une « dose de proportionnelle…pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées ». Mais une « dose » (laquelle ?) ne suffit pas, c’est la proportionnelle intégrale qui sera à l’assemblée nationale le vrai reflet du pays.

Il veut réduire d’un tiers le nombre des parlementaires et le nombre des mandats, mesures qui se veulent populaires comme celle de supprimer la cour de justice de la République chargée de juger les ministres, créee en 1993. Économies obligent.

Et s’il n’obtient pas la majorité, il recourra au référendum ! Alors là, on voudrait voir ça avec la majorité absolue des seuls députés LRM ! Juste un effet de tribune histoire de montrer la détermination du monarque républicain qui réunira chaque année le congrès ?

Il annonce la fin de l’état d’urgence pour l’automne « pour rendre aux Français leur liberté » mais ne précise pas qu’une nouvelle loi fera rentrer l’état d’urgence dans le droit commun et que l’exécutif passera avant le judiciaire, en permanence.

Au passage, il a souhaité « une société de confiance, pas de la délation… »appelant la presse… » à la retenue, à en finir avec cette recherche incessante du scandale, avec le viol de la présomption d’innocence »…La discrétion plutôt que la transparence, le silence plutôt que l’information.

Et puis, au milieu de grandes envolées sur le sens de l’Histoire, la difficulté à réformer la France, la mesure des efforts que nous impose « cette mondialisation financiarisée », il a eu cette phrase : « protéger les plus faibles ce n’est pas les transformer en mineurs incapables… » qui fait penser à un autre mot, « l’assistanat », comme si les familles qui bénéficient de droits sociaux ne cherchaient plus à sortir de leur précarité, voire de leur misère…Limite insultant.

Le président de la République n’a pas eu un mot pour se poser la question de l’origine de la crise financière de 2008, des crises précédentes et à venir, bref du système économique qui organise cette mondialisation avec toutes ces « contraintes financières », ces inégalités qu’il se promet, comme ses prédécesseurs, de faire reculer…avec le succès que l’on sait. Que faisait-il dans le gouvernement précédent ?

Il n’a pas apprécié l’absence volontaire du groupe communiste et de celui de la FI auxquels il a fait la leçon après avoir laissé sa majorité accaparer tous les pouvoirs dans le fonctionnement de l’assemblée nationale pour mieux servir les intérêts de la finance et commencer par démanteler le code du travail, sans débat, par ordonnance !

Ce qui ne l’empêche pas de proclamer qu’il veut « rendre au débat public sa dignité et sa grandeur… » à condition qu’on ne fasse pas de politique, ni d’idéologie, qu’on le suive les yeux fermés ! Il assure que les engagements seront tenus et mandate le 1er ministre pour organiser la gestion du quotidien.

Au plan international, E. Macron veut redonner à la France son lustre d’antan et à l’Europe son rôle d’entraînement -avec l’Allemagne- dans un contexte de grandes turbulences. Il n’entend pas changer de trajectoire mais renforcer les orientations qui asphyxient et divisent les peuples.

Édouard Philippe à la manoeuvre
Le lendemain le 1er ministre prenait le relai devant tous les députés cette fois pour présenter son programme de politique générale et le faire adopter après explication de vote de chaque groupe parlementaire. Ce qui fut fait haut-la-main. Seuls les groupes communiste, FI et socialiste (moins 1) ont voté contre et les LR se sont très majoritairement abstenus.

Exercice délicat pour un 1er ministre qui n’a pas été choisi dans le sérail LRM puisqu’il a fait (théoriquement) campagne pour sa famille politique, LR, il a d’ailleurs rendu un bref hommage à son mentor A. Juppé en même temps qu’il découvrait le groupe fourni très majoritaire adoubé par E.Macron.

Il a cité le gaulliste Chaban-Delmas et le social-démocrate Rocard pour évoquer « l’archaïsme et le conservatisme de nos structures sociales », au coeur du projet de régression -il préfère « modernisation »- qu’il va mettre en oeuvre car c’est à l’efficacité et aux résultats qu’ils sont attendus. Alors il faut aller vite et ne pas perdre de temps dans des débats sans fin, tel est le fil conducteur.

Dans le rôle du manager du gouvernement chargé de rédiger la feuille de route de chacun, il a fait le job. Il a lu un texte qui, par moments, ne paraissait pas de lui, pourtant écrivain. Sans regarder l’assemblée, accélérant le débit et entrant dans les détails (le prix du paquet de cigarette à 10 euros, les vaccins obligatoires tout de suite, la réforme du bac, le haut débit partout d’ici 2022…) comme si le compte à rebours pour la prochaine présidentielle constituait l’horizon, déjà ! La transition écologique a été à peine effleurée.

Il a eu cette phrase : « Il y a une addiction française au problème de la dette publique..? » Diable. Nous rejouant le couplet de nos enfants qui paieront notre dette. Sur le strict plan statistique, la France en 2016 est à 97% du PIB, l’Espagne à 98, la Belgique à 106, l’Angleterre à 89, l’Allemagne à 71, l’Italie à 133…Par habitant, l’écart est moindre avec l’Allemagne. (source FMI)

Mais surtout, en libéral très affirmé, il ne dit rien de l’origine privée des dettes publiques et de la part des intérêts prélevés par les banques privées qu’il faut sans cesse renflouer, comme tout récemment la banque italienne BMPS qui vient de recevoir le feu-vert de la commission européenne pour être recapitalisée par l’État italien : 5,4 mds de fonds publics. Elle a plus de chance que la Grèce.

« Nous serions à la merci des marchés financiers… » a-t-il lâché. Comme s’il ne savait pas que nous y sommes depuis longtemps et qu’il fait tout pour qu’on y reste. La solution c’est justement de s’en affranchir en maîtrisant la finance. Touchez pas au grisbi…c’est sacré ! Leur conception c’est d’encourager ceux qui prennent des risques, qui spéculent, qui optimisent leur capital, quitte à le retirer et à créer du chômage pour gagner plus ailleurs.

Et plus il y a de chômage, plus les salaires baissent…c’est pour cela que « nous sommes dans les cordes… » En France et ailleurs.

Et ils nous parlent de vérité, les critiques seraient dans le déni de réalité ? « Il faut réorienter l’épargne vers des investissements productifs… », a-t-il dit, absolument, mais pourquoi donc s’adresser à tout le monde et pas à ceux qui spéculent et accumulent des montagnes de fric, les dissimulent dans des paradis fiscaux, ouvrent des comptes à à nos frontières, en Suisse qui ne fournira plus les noms des fraudeurs mais un simple n° de compte !!! Pas un mot.

Mieux, E. Philippe a annoncé la baisse de l’impôt sur les sociétés (de 33% à 25) et sur la fortune (que les LR veulent supprimer), le transfert sur la CSG des cotisations sociales…la baisse des dépenses publiques, le gel du point d’indice des fonctionnaires, l’allègement drastique de leurs effectifs et la privatisation des missions de l’État, poursuivie et même accélérée, si on laisse faire. Ciotti, pour les LR, a trouvé que ça n’allait pas assez loin.

En raison des 8 milliards de plus à trouver en 2017, l’opportunité de reporter certaines réformes était toute trouvée. Mais on n’échappera pas à une cure très sévère de super-austérité mot qu’il n’a pas employé, tout tendu vers la recherche de « confiance, de courage, d’esprit conquérant »…il aura eu bien du mal à faire partager son optimisme au-delà du groupe de députés qu’il a désormais la mission de conduire. Il sait pouvoir compter sur leur fidélité…au président.

René Fredon

Crédit photo : http://www.ouest-france.fr

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