Deux jeunes chefs sauvent la nuit américaine !
Le concert dont nous rendons compte ici est un miraculé. Oh bien sur, tout ça se passe dans le petit monde du spectacle vivant de la musique ! Au festival de la Roque d’Antheron en Provence, à quelques encablures de Toulon Marseille ou Aix, le chef d’orchestre prévu pour conduire l’affaire tombe à
l’improviste malade, la veille du concert. Au programme une longue nuit de musique américaine du XXème siècle qui doit être retransmise en direct sur France Musique. Les trois solistes ont travaillé les œuvres de leur côté toute l’année, la mezzo Marie-Ange Todorovitch, les pianistes David Kadouch et Plamena Mangova. Salle comble ! Impossible d’annuler !
L’orchestre de Marseille, la plus belle phalange musicale de la région est décapitée. Que faire ? L’incident a eu lieu la veille de la dernière répétition. Lawrence Forster se trouve dans l’impossibilité de tenir la baguette. Dans la nuit René Martin contacte son jeune assistant Nestor
Bayona qui viendra conduire le premier et Mihhail Gerts qui se trouve à …Rome pour le second. Ouf ! La soirée de prestige est sauvée in extrémis par ces deux remplacements au pied levé !
Bernstein et Gershwin
L’impressionnante symphonie sur les lamentations du prophète Jérémie de Bernstein ouvre la soirée avec ferveur. Une œuvre sérieuse de Bernie, accents mystiques, carure, rythmes wagnériens (la mort de Siegfried), références bibliques. Nestor Bayona n’est pas vraiment à l’aise, on peut le comprendre. Par contre Todorovich dans le dernier mouvement invoque Jérusalem avec force et sensibilité. Elle insuffle aux paroles du prophète des accents et des invectives puissantes. Une réussite totale.
Très attendu, le concerto en fa de Gershwin s’installe dans la nuit qui tombe avec tout ce qu’il faut d’émotion sous les doigts de David Kadouch.L’orchestre sonne un peu fort (sauf dans le mouvement lent, mieux dosé). Kadouch sans partition, déroule les beautés sombres et pulsantes de cette partition dédiée à Ravel (que Gershwin vénérait). C’est une merveilleuse synthèse entre le jazz et le classique, sans être une juxtaposition des deux styles. Comme chez Ravel, l’orchestration est rutilante très cuivrée. Elle construit une arche somptueuse entre l’Europe musicale du début du XXeme siècle et l’émergence insolente du jazz. Beau moment de musique jusqu’au bis fraternel entre les deux artistes, le jeune virtuose français et la belle mezzo soprano dans la berceuse de Porgy and Bess Summertime ! Succès assuré.
Un grand chef
Le deuxième concert de cette soirée américaine s’ouvre avec Rhapsodie en Blue. Et là stupeur ! On découvre un chef et une grande pianiste. L’œuvre est difficile, fort connue. Mihhael Gerts s’impose par sa présence, sa battue précise, sans parallélisme, ces attaques parfaites. L’orchestre déjà bien présent l’heure d’avant s’impose maintenant tout en nuance. Les pupitres sollicités répondent avec ductilité. C’est un écrin de choix pour la bouillante soliste
bulgare Plamena Mangova dont la puissance de frappe est redoutable. Un Gershwin musclé et sur vitaminé (notes perlées, rythmes, ostinati, toucher moelleux) tout concourt au rendu impeccable de l’œuvre fétiche. Et jusqu’aux cigales qui se taisent dans les platanes et les vénérable séquoias. La soirée prend sa vitesse de croisière. Devant la trépidation qui fait trembler la structure spatiale du vaisseau de la Roque, Plamena propose deux danses de l’argentin Ginastera dont la deuxième est un jeu pyrotechnique étourdissant.
La qualité du jeune chef estonien s’impose encore avec la suite On the water front la musique du film « Sur les quais ». Mettant en scène la corruption mafieuse dans le syndicat des dockers new-yorkais, Elia Kazan a donné en 1954 l’un de ses plus beaux rôles à un Marlon Brando âgé de 30 ans. Leonard Bernstein signe là sa seule musique pour l’écran (si l’on excepte les adaptations filmiques de ses comédies musicales). L’alternance des dissonances parfois rudes, des rythmes irréguliers et des sonorités éthérées préfigure West Side Story, trois ans plus tard. Et ce sont donc les danses symphoniques de West side story qui clôturaient ce concert. Sentant le triomphe arriver Mihhail Gerts se déchaîne, sollicitant le public pour un mambo percussif éclatant qui sera redonné en bis dans l’allégresse générale. Les cigales anéanties par tant de verve en sont restées, comme nous, tétanisées d’admiration. Plus beau difficile !
Jean-François Principiano
Signalons, toujours dans la mouvance franco-américaine l’œuvre d’Olivier Messiaen qui sera donnée samedi 27 juillet 17h 30 au centre culturel et sportif Marcel Pagnol de la Roque d’Antheron « Des Canyons aux étoiles » avec Jean-François Heisser direction et le pianiste Jean-Frédéric Neuburger. Orchestre de chambre Nouvelle-Aquitaine. C’est un chef d’œuvre rare qu’il ne faut pas manquer.