Des livres et vous

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Monsieur Jadis ou l’école du soir d’Antoine Blondin
244 pages
Format 14x22cm
ISBN : 2070360296
Prix 15,30€
Éditions La Table Ronde

Monsieur Jadis, comme Cadet Rousselle, avait trois maisons : l’une où ses enfants dormaient avec leur mère ; une autre où sa compagne dormait avec son mari ; la troisième où sa mère dormait avec son accordéon. Mais il en habitait, le plus souvent, une quatrième où tout le monde dormait avec tout le monde, car celle-ci, la seule où il disposât d’une clef, généralement pendue au tableau, était un hôtel sur le quai Voltaire, où il lui arrivait de s’enfermer à double tour pour mieux poser sur les paysages de son enfance le regard d’un homme libre.
Monsieur Jadis, ce sont des épisodes burlesques, comme quand on assiste à la reconstitution soit disant grandeur nature de la bataille d’Austerlitz dans un bistrot. Mais c’est aussi la description des états d’âme d’un être en perdition tiraillé entre le désir d’une vie rangée et « l’appel de la nuit » parisienne qui finit immanquablement au commissariat.
Antoine Blondin nous montre une fois encore, par le biais de réels bonheurs d’expression, l’étendue de son talent.

Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq
328 pages
ISBN : 2-7143-0359-5
Prix 21 €
Éditions José Corti

Troisième roman de Julien Gracq, le plus célèbre, le plus « analysé ». Primé au Goncourt 1951 : Julien Gracq refusera le prix. (Pour cette fameuse « affaire » – dont La littérature à l’estomac était déjà une réponse anticipée –, voir l’article de Bernhild Boie, page 1359 du premier tome de la Pléiade consacrée à Julien Gracq).
Aldo, à la suite d’un chagrin d’amour, demande une affectation lointaine au gouvernement d’Orsenna. S’ensuit alors la marche à l’abîme des deux ennemis imaginaires et héréditaires. Les pays comme les civilisations sont mortels. C’est à ce fascinant spectacle que Julien Gracq nous convie ici. Cette insolite histoire de suicide collectif laisse une subtile et tenace impression de trouble.

« Ce que j’ai cherché à faire, entre autres choses, dans Le Rivage des Syrtes, plutôt qu’à raconter une histoire intemporelle, c’est à libérer par distillation un élément volatil « l’esprit-de-l’Histoire », au sens où on parle d’esprit-devin, et à le raffiner suffisamment pour qu’il pût s’enflammer au contact de l’imagination. Il y a dans l’Histoire un sortilège embusqué, un élément qui, quoique mêlé à une masse considérable d’excipient inerte, a la vertu de griser. Il n’est pas question, bien sûr, de l’isoler de son support. Mais les tableaux et les récits du passé en recèlent une teneur extrêmement inégale, et, tout comme on concentre certains minerais, il n’est pas interdit à la fiction de parvenir à l’augmenter.
Quand l’Histoire bande ses ressorts, comme elle fit, pratiquement sans un moment de répit, de 1929 à 1939, elle dispose sur l’ouïe intérieure de la même agressivité monitrice qu’a sur l’oreille, au bord de la mer, la marée montante dont je distingue si bien la nuit à Sion, du fond de mon lit, et en l’absence de toute notion d’heure, la rumeur spécifique d’alarme, pareille au léger bourdonnement de la fièvre qui s’installe. L’anglais dit qu’elle est alors on the move. C’est cette remise en route de l’Histoire, aussi imperceptible, aussi saisissante dans ses commencements que le premier tressaillement d’une coque qui glisse à la mer, qui m’occupait l’esprit quand j’ai projeté le livre. J’aurais voulu qu’il ait la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue. »
Julien Gracq, En lisant en écrivant, p.216

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