Cendrillon de Rossini Un vrai conte de fées !

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Opéravenir propose de revisiter un conte musical de 1816, mis en musique par un jeune Rossini plein de fougue et de passion.  Idéal pour ces fêtes si particulières, voilà de quoi nous réconcilier avec les temps actuels.

Même si le livret de Jacopo Ferretti s’inspire du conte de Charles Perrault, l’œuvre a une couleur bien plus moderne, tout à fait  dans l’esprit des lumières du XVIII° siècle.

Rossini Jeune

Oubliée la fée, envolés citrouille et soulier de vair ! Dans ce drame joyeux sous-titré « Le Triomphe de la bonté », on s’émeut de l’initiation d’Angelina, frêle et lumineuse héroïne d’un Rossini qui lui réserve ses plus tendres mélodies, délicieusement entrelacées à celles du Prince Ramiro. Puis, soudain, les vocalises brillent, fusent et les phrases se bousculent dans des airs et des ensembles où les jeux de mots crépitent et galopent en rythme : Rossini à son plus grand. L’Opéra italien  à son sommet. Le bonheur à son comble. Un vrai conte de fées pour temps meilleurs !

Acte 1 Le triomphe de l’amour

Le baron Don Magnifico a deux filles, Clorinda et Tisbe, ainsi qu’une fille adoptive, Angelina, dite Cenerentola, (celle qui reste près des cendres) que la famille a pris l’habitude d’utiliser comme souillon. Pour chasser sa mélancolie, Angelina chante une chanson populaire décrivant l’histoire d’un roi aimant une femme pour son innocence et sa bonté, méprisant le faste et la beauté des autres prétendantes.

Lorsqu’un mendiant se présente, il est chassé par les deux sœurs, mais Angelina lui donne en cachette un peu de pain, attendrie par sa situation.

Des gens de cour annoncent que le Prince Ramiro se présentera sous peu pour inviter les dames du pays à un bal, afin de choisir sa future épouse. Les deux sœurs se pressent pour se faire belles, sollicitant Angelina qui ne peut répondre à toutes leurs demandes. Le faux mendiant, qui n’est autre qu’Alidoro, le  mage, annonce à Angelina qu’elle trouvera le bonheur après avoir franchi une série d’épreuves.

Le Prince Ramiro arrive alors, déguisé en valet, afin de tester ses prétendantes incognito : il ne souhaite pas se marier sans amour. Alidoro lui a confié qu’il rencontrerait sans doute une épouse digne de lui dans cette demeure. Il découvre alors Angelina. Tous deux tombent instantanément amoureux l’un de l’autre.

Le valet de Ramiro, Dandini, déguisé en Prince, se présente à son tour. Il flatte les deux sœurs tandis que Ramiro regrette de ne pas voir reparaître Angelina (« Come un’ape ne ‘giorni d’aprile »). Ramiro et Dandini questionnent don Magnifico qui présente alors Angelina comme une servante. Son mépris fait enrager le Prince et son valet, qui sont pris de compassion pour la jeune femme.

Alidoro fait remarquer que les registres font état de trois filles. Il exige de voir la troisième de ses filles. Don Magnifico la déclare morte, au grand dam d’Angelina qui entend tout en coulisses. La tension monte, tandis qu’Angelina demande à Ramiro de lui venir en aide. Le Prince, son valet et Don Magnifico quittent les lieux afin de rejoindre le bal, laissant Angelina seule « Signor, Una Parola ».

Alidoro revient déguisé en mendiant et annonce à Angelina qu’il va la conduire au bal pour la consoler. Devant les doutes de la jeune femme, il lui dévoile sa véritable identité, lui offre une tenue d’apparat ainsi que deux bracelets et la conduit au carrosse qui l’attend (« Là Del Ciel Nell’Arcano Profondo »).

Pendant le bal, le Prince, toujours déguisé en valet, demande à Dandini de lui faire un rapport sur les deux sœurs. Celui-ci est catégorique : elles sont toutes les deux insolentes, capricieuses et vaniteuses.  Alidoro lui présente une nouvelle invitée. Angelina paraît alors, resplendissante. Lorsqu’elle soulève son voile, tous les protagonistes restent interloqués. Après un moment d’hésitation, Don Magnifico et ses filles, concluent que ce ne peut pas être la Cenerentola, malgré une légère ressemblance, car celle-ci n’a pas la grâce de la nouvelle invitée. Dandini propose alors de passer à table, non sans se promettre de profiter de son déguisement de prince pour se régaler d’un banquet habituellement inaccessible (« Signor, Altezza, é in Tavola »)

Acte 2 Le triomphe de la bonté

Don Magnifico discute avec ses filles. La ressemblance de l’invitée surprise  avec la pauvre Cenerentola l’amène à parler d’elle, et à confier qu’il a dilapidé le patrimoine qu’on lui a confié lors de son adoption, pour payer les robes de Clorinda et de Tisbe. Le baron, persuadé que l’une de ses filles sera choisie, recommande à l’heureuse élue de ne pas laisser le reste de la famille dans le besoin. Il s’imagine déjà important et très sollicité (« Sia Qualunque delle Figlie »). De son côté, Ramiro pense à la ressemblance entre la nouvelle invitée et  Cenerentola. Lorsque celle-ci approche avec Dandini, il se cache pour observer. Il ne peut cependant résister à se montrer lorsqu’il entend la jeune femme repousser les avances du faux prince par amour pour lui.

Elle explique alors qu’elle n’a que faire de la richesse : elle l’aime pour sa vertu. Pour l’épouser, il devra franchir une épreuve. Il devra  la chercher et la retrouver au milieu de la Cour avec comme seul indice un de ses bracelets. Une fois Angelina partie, le Prince ordonne à Dandini de reprendre son habit de valet.  Lui part dans l’instant à la recherche de sa bien-aimée. (Grand air du ténor Si ritrovarla io giuro).

Le Prince arrive dans ses vrais habits au milieu de la foule des courtisans, et reconnait immédiatement  Angelina. Le temps se fige, chacun étant plongé dans la perplexité (Questo È un nodo avviluppato). C’est le moment le plus bouleversant de l’opéra.

Alors que Don Magnifico et ses filles continuent de maltraiter Angelina, le Prince montre sa colère (« Donna Sciocca, Alma Di Fango ») et les menace. Mais Angelina prend leur défense, souhaitant que la bonté triomphe. Après l’avoir d’abord traitée d’hypocrite, son père et ses sœurs finissent par comprendre et  demander pardon. La cour chante alors les louanges de la nouvelle Princesse et la victoire de la Bonté sur la  Méchanceté après son grand air « Non piu mesto accanto al  fuoco ».

Della fortuna istabile

La revolubil ruota

Mentre ne giunge al vertice

Per te s’arresta immota.

Cadde l’orgoglio in polvere,

Trionfa la bontà.

La roue instable de la fortune

Arrivée au sommet

Pour toi s’est arrêtée

Tombe l’orgueil en poussière

Triomphe la bonté.

 

Le sens de l’œuvre

Résumons–nous, la pauvre Cendrillon, est une jeune fille déshéritée, spoliée par son beau-père et brutalisée par sa belle-mère et ses deux filles. Toujours généreuse, Cenerentola prend en pitié un mendiant, qui décide de la récompenser en l’emmenant au bal. Le mendiant est en réalité Alidoro  un mage déguisé, qui cherche pour son disciple, le prince Ramiro  la femme idéale…Tel Sarastro il favorisera le rapprochement des jeunes initiés grâce à l’amour et la bonté.

L’œuvre créée en 1816 au Théâtre del Valle à Rome a été boudée par le public qui la trouva trop métaphorique  et cérébrale. Face aux critiques, Rossini se serait écrié « Le carnaval ne sera pas terminé que tout le monde en sera amoureux ; dans moins d’un an, on le chantera d’un bout à l’autre du pays. » Il avait raison : les dernières représentations romaines furent un triomphe et l’opéra devint rapidement l’un des favoris du public romain avant de se propager dans les autres grandes villes d’Italie, en Europe et même à New York en 1826.

Pendant tout le XIXe siècle, le succès de La Cenerentola ne se dément pas et va même jusqu’à rivaliser avec celui du Barbier de Séville. Malheureusement, la raréfaction de la voix de contralto colorature entraîne progressivement l’abandon de l’œuvre avant une renaissance salutaire rendue possible par des mezzo-sopranos répondant aux exigences de l’écriture Rossinienne, Teresa Berganza, Federica Von Stade, Elīna Garanča ou Cecilia Bartoli

Un Rossini peut en cacher un autre

L’œuvre sous des aspects  de comédie  se déploie sur trois plans.

Tout d’abord – ce qui n’a pas échappé à Stendhal  premier biographe de Rossini -, le librettiste Jacopo Ferretti humanise  le conte en lui insufflant une  profondeur dramatique impliquant le spectateur. Angelina passe de la pauvre souillon humiliée, à l’amoureuse épanouie, pour finir en héroïne conquérante qui pardonne au nom de la bonté. Rappelons que le mot bontà provient du bas-latin. A l’origine c’est un terme de technique agricole. Littéralement c’est rendre bonne une terre à cultiver. C’est la même racine que « bonifier ». Le sens métaphorique qui en dérive est très explicite : faire preuve de bonté est une attitude morale qui améliore tout le monde. Une valeur morale individuelle qui ruisselle sur l’ensemble des hommes.

Deuxième remarque, la musique de Rossini est particulièrement novatrice  lorsqu’elle décrit l’apparition des sentiments amoureux du Prince Ramiro. Rossini limite au minimum les vocalises et gli affetti et les fioritures inutiles pour se concentrer sur une mélodie continue nettement romantique, très en avance sur son temps annonçant Bellini et Verdi. Le personnage d’Alidoror-Saratustra est particulièrement  soigné harmoniquement dans la partition.

Troisièmement  la théâtralité de l’opéra est plus moderne que  dans les autres œuvres de jeunesse de Rossini, progressant non pas par scènes mais par  séquences s’imbriquant les unes dans les autres, préfigurant la vision cinématographique. Cette succession d’ambiances  permet au compositeur de donner libre court à une orchestration plus fouillée, plus émotionnelle et psychologique que descriptive. Les musicologues parlent alors de phénomène de halo qui permet toutes sortes d’effets scénographiques. Ainsi les trois  scènes avec le mage Alidoro, ami et confident du prince, transforment l’œuvre en une théâtralité pirandellienne dont la finalité initiatique est nouvelle dans l’œuvre de Rossini en général peu préoccupé d’ésotérisme.

Toutes ces nouveautés font le charme  irrésistible de cette partition qui, dès sa création, a  interpellé les spectateurs. Stendhal a pu dire « C’est la seule œuvre de Rossini inspirée d’un conte de la tradition européenne capable de provoquer une réflexion métaphysique sur  la naissance de l’amour et cette musique ne se trompe pas, elle va droit au fond de l’âme chercher le chagrin et le bonheur  qui nous dévorent. »

Par ailleurs  la Cenerentola est une  œuvre lyrique très présente sur les grandes scènes internationales et qui se prête facilement aux adaptations et transpositions.

En pensant aux mélomanes qui voudraient revenir aux fondamentaux, Opéravenir propose la version Abbado-Ponnelle de la Scala de Milan qui n’a pas pris une ride et dont  le classicisme dépouillé  dévoile son mystère et sa beauté.

Jean-François Principiano

 

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