Atys de Jean-Baptiste Lully Un mythe consolateur

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Il paraît que lorsque les romains étaient en inquiétude ils faisaient appel à une déesse orientale accompagnée de son grand sacrificateur pour conjurer le mauvais sort. Cybèle et Atys puisqu’il faut les appeler par leurs noms, étaient fêtés durant  tout le mois d’Avril et le 29 avril on portait en procession au Mont-Palatin un pin sacré qui symbolisait la renaissance d’Atys.

Nous avons pensé renouer avec ce mythe pour recevoir nous aussi consolation, réparation et espoir dans cette période d’incertitudes.

Le 6 mai 1676, Madame de Sévigné écrivait : « J’ai été hier à l’Opéra. Dans Atys il y a des moments d’une extrême beauté ; il y a un sommeil et des songes dont l’invention surprend ; la symphonie est toute de basses et de sons si assoupissants, qu’on s’y endort si délicieusement et que l’on est guéri de tous nos maux au réveil grâce aux charmes de Cybéle ! »

Giovanni Battista Lulli

Atys est une tragédie mise en musique de Jean-Baptiste Lully en cinq actes précédés d’un prologue. Le livret s’inspire des Fastes d’Ovide (vers 15 après J.-C.) et représente  une initiation à peine voilée aux mystères de Cybèle la consolatrice, la Grande Mère, la  Magna Mater des romains.

Le Culte de Cybèle et Atys
Ce culte oriental est la première religion officiellement introduite à Rome en 204 avant J.-C. A cette époque, Rome était menacée par l’avancée d’Hannibal. L’oracle de la Sibylle de Cumes à près de Naples est consulté. La prophétie dit qu’Hannibal pourra être vaincu si les  romains accueillent le symbole sacré de Cybèle et Atys. Il s’agit d’une pierre noire sculptée adorée à Pessinonte en Phrygie, royaume de Pergame (actuellement Turquie de l’est). Elle représente la déesse Cybèle accompagnée d’Atys son prophète. Le Sénat fait donc venir la pierre noire à Rome par l’entremise du roi de Pergame Attale, allié des romains. En s’attirant leur protection, Rome espère avoir une  aide spirituelle pour repousser Hannibal et en effet en 202 avant JC le carthaginois est vaincu à Zama par Scipion l’Africain.

Cybele et Atys

Après la victoire romaine, le culte de Cybèle et d’Atys prend de l’importance car il a  une fonction consolatrice. Il honore les pierres, les arbres, les animaux. Le mois d’avril lui est dédié. Une procession panthéiste annuelle se rend sur le Mont-Palatin pour planter un petit pin symbole d’Atys. Les fidèles font alors des invocations implorant son aide pour régler un problème ou pour obtenir réparation d’un préjudice. Il apparaît alors comme une divinité bienveillante, qui porte secours. Un temple dédié à Cybèle et Atys est construit sur le Mont- Palatin en 191 avant J.-C.

Philippe Quinault

Philippe Quinault (1635-1688) reprend le texte  des Fastes d’Ovide et écrit en 1675 un magnifique texte qui exalte les principales caractéristiques de ce Mythe. Lully en fera un opéra-ballet initiatique et féérique, racontant la déification d’Atys. On pourrait dire que cette œuvre est la flûte enchantée de l’époque… Elle a profondément touché les contemporains notamment le jeune Roi Louis XIV.

Prologue – le Palais du Temps
Le Temps (basse-taille) et le Chœur des Heures célèbrent la gloire éternelle de Louis XIV, le plus grand des héros. La déesse Flore (dessus ou soprano) déesse du printemps, s’avance avec une troupe de nymphes qui portent divers ornements de fleurs, conduite par un des Zéphirs (haute-contre). Elle se plaint de ne jamais pouvoir rendre ses hommages au roi qui est toujours en guerre, et désire se joindre au Temps. Tous en appellent à Cybèle dont le culte protecteur doit être rétabli.

Acte I
Une montagne de Phrygie consacrée à Cybèle, à l’aurore.
Le prince Atys (haute-contre) presse le peuple de préparer l’arrivée de la déesse protectrice Cybèle. Son ami Idas (basse) se moque de l’exaltation d’Atys, et lui demande s’il ne serait pas amoureux, lui qui se vante de ne jamais l’être. Atys finit par convenir que son cœur subit les assauts de l’amour. Il balance entre la belle princesse Sangaride et la déesse Cybèle.

Sangaride (dessus) paraît, exaltée comme Atys, mais d’autres raisons l’animent : on fête aujourd’hui son mariage avec le roi de Phrygie, Célénus (basse). Cybèle, reine des Dieux, a promis de rehausser cette noce du lustre de sa présence. Atys se croit rejeté par Sangaride, et réaffirme qu’il est insensible à l’amour.

Acte II Le temple de Cybèle
Célénus et Atys attendent que Cybèle ait fait le choix de son prophète, celui qui portera sa parole. Cybèle, accompagnée de ses prêtresses, vient annoncer à Célénus qu’elle a choisi Atys comme Grand Sacrificateur. Célénus masque sa déception. Cybèle confie à Mélisse qu’elle est éprise du jeune héros Atys, et qu’elle a décidé de provoquer son sommeil pour le lui faire savoir en songe.

Acte III
Le palais d’Atys
Atys se lamente car son amour pour  Sangaride le rend malheureux. Idas survient avec sa sœur Doris. Ils annoncent que Sangaride et Cybèle veulent  chacune séduire Atys. Atys est partagé entre l’espoir et la crainte. Cybèle blessée par les hésitation d’Atys décide de le plonger à nouveau dans le sommeil de l’oubli pour le détacher de Sangaride.

Une clairière entourée de pavots
Le Sommeil (haute-contre) apparaît, avec Morphée (haute-contre). Les Songes agréables s’approchent d’Atys et par leurs chants et leurs danses lui font connaître l’amour de Cybèle et le bonheur qu’il doit en espérer. Les Songes funestes s’approchent à leur tour de lui, et le menacent de la vengeance de Cybèle s’il méprise son amour et ne l’aime pas avec fidélité. Atys, épouvanté, se réveille en sursaut.

Cybèle assiste au réveil d’Atys et lui confirme que les songes lui parlaient en son nom. Atys, surpris, ne peut que l’assurer de son respect et de sa reconnaissance. Sangaride survient et se jette aux pieds de Cybèle lui avouant son amour pour Atys. Cybèle, ulcérée, décide de se venger en séparant définitivement Atys et Sangaride.

Acte IV Le palais de Sangar
Sangaride se lamente, en présence de Doris et Idas, n’ayant pas compris l’attitude d’Atys en présence de Cybèle.  Atys évoque alors sa mission auprès des hommes révélée en songe : diffuser la bienveillance et le réconfort. Célénus vient demander des explications à Cybèle. Celle-ci lui avoue qu’elle aime Atys et qu’elle est jalouse de Sangaride. Elle fait surgir des enfers la Furie Alecton qui tient à la main un flambeau qu’elle secoue sur la tête d’Atys dont l’esprit s’égare.

Acte V Des jardins agréables
Cybèle à des remords, mais trop tard. Atys s’est poignardé. Cybèle se rend compte que sa vengeance était trop cruelle. Elle décide de ressusciter Atys sous la forme d’un pin sylvestre, arbre de la guérison et de la paix. Elle convie les divinités des bois et des eaux à pleurer la triste fin d’Atys, et demande que l’arbre sacré, le pin, soit révéré.

Elle consacrera son existence éternelle à protéger les hommes avec Atys à ses côtés. Elle exprime la hauteur de leur mission et fait don de leur douleur pour sauver l’humanité.

La musique de Lully 1632-1667
Le jeune florentin Jean-Baptiste Lully, son nom de naissance est Giovanni Battista Lulli, arrive en France à 14 ans, dans la suite de La Grande Mademoiselle d’Orléans, duchesse de Montpensier (1627-1693), nièce de Louis XIII et cousine de Louis XIV.

Il sait chanter, jouer du violon et de la guitare, et son tempérament volontaire est très remarqué. En outre, la noble dame désire parfaire sa connaissance de la langue italienne. Introduit à la cour de Louis XIV après un court exil en Bourgogne, Lully assiste aux fastueux spectacles chantés et dansés, apprend le clavecin, la composition, et se perfectionne dans l’art de la danse. C’est d’ailleurs après avoir dansé avec le roi dans Le Ballet de la nuit en 1653 que celui-ci l’engage à 20 ans (Louis XIV n’en a que 14). Il est évident que ses talents et son charme ont séduit le très jeune roi. Louis XIV ressent par ailleurs le besoin d’être mis en valeur alors qu’il ne possède pas encore les pleins pouvoirs, jusqu’en 1661 c’est Mazarin qui gouverne. Lully est enfin récompensé de tous ses efforts quand il est nommé « Surintendant de la musique du Roi. »

Il est considéré comme l’un des créateurs de l’orchestre moderne. Il impose une plus grande rigueur interprétative dans la discipline et le rythme et prend l’habitude de regrouper les autres familles d’instruments aux violons de la « Petite Bande » et de la « Grande Bande ». Il crée en quelque sorte l’orchestre moderne.

On retrouve dans Atys des caractéristiques propres à son style vocal : les accents ou sons coupés, les plaintes, les coulades pour adoucir le chant, le flattement qui se situe approximativement entre le tremblement ou trille et ce que l’on entend actuellement par vibrato, le port de voix et les ornements, les petites notes de goût et les diminutions.

Lully précise lui-même dans la partition la bonne manière de chanter le français : « Quand après des notes vives suivent quelques notes lentes et chantantes, il faut aussitôt modérer le feu, et exprimer les notes lentes avec la passion qu’elles demandent, pour que l’auditeur n’en ressente aucun ennui. »  Il ajoute « l’Ouverture doit avoir une entrée majestueuse et grave. »

Avec Atys il porte à incandescence l’opéra français (qu’il continue d’appeler du joli nom de tragédie mise en musique) en l’adaptant au goût et à la langue de l’époque ; il utilise la forme en cinq actes, comme les tragédies de Racine et Corneille. Les ballets en riches costumes d’époque y tiennent une place importante.

Son monopole dans le domaine lyrique éclipsera certainement de nombreux talents et figera l’opéra français pour un siècle ; il reste néanmoins un des grands représentants de l’esprit artistique de notre nation.

Atys

Le sens de l’œuvre
Au-delà de la somptuosité imposante et décorative, Atys délivre un message initiatique. Celui de la Magna Mater, la mère protectrice et son prophète Atys qui sont désormais aux services des hommes. Les deux entités divines ont fait don de leur souffrance terrestre. Cybèle pour avoir voulu se venger du dédain d’Atys, Atys parce qu’il a trahit Cybèle pour la belle Sangaride. Ovide et Quinault disent qu’ils sont pour cela condamnés à l’errance éternelle et qu’ils doivent expier leurs fautes morales en soulageant les douleurs des hommes.

Quinault précise même  que Cybèle et Atys descendent sur terre dans les moments les plus difficiles, guerres, cataclysmes, épidémies, pour venir en aide à l’humanité.

On les attend avec impatience. Ils seraient les bienvenus !

Jean-François Principiano

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