La prochaine audition du procès d’Asli Erdogan serait avancée au 14 février. L’auteure en a été informée il y a quelques semaines.
Cette fois, la peine demandée est de neuf ans de prison, avec pour chef d’accusation la publication de quatre articles (repris dans le recueil Le Silence même n’est plus à toi, Actes Sud 2017) considérés comme des textes de propagande. À lire ci-dessous la lettre d’Asli Erdogan du 28 janvier 2020
Actuellement, Asli Erdogan vit en Allemagne où elle est accueillie en résidence d’écriture.
Son état de santé n’est pas bon ; elle a récemment subi deux interventions chirurgicales.
Elle est très fragilisée par ses soucis médicaux ainsi que par les attaques à répétition du gouvernement turc : une campagne de presse et de tweets a été lancée contre elle en octobre. Vraisemblablement, il y a quelques jours une « claque » a été déléguée pour siffler un spectacle inspiré de son livre Le Mandarin miraculeux et donné à Genève. Et le changement de procureur dans l’instruction de son procès constitue pour elle un nouveau motif d’inquiétude.
Ce renversement de situation confirme l’acharnement dont elle fait l’objet. Faisant semblant de l’oublier, la justice turque revient régulièrement à la charge et prouve par là son obsession à poursuivre les intellectuels turcs (journalistes, écrivains, militants des droits humains) ayant fait preuve de solidarité envers les Kurdes.
Asli Erdogan (dont le patronyme, courant en Turquie, n’a pas de lien avec le président du pays) est écrivaine et journaliste. Arrêtée et incarcérée en août 2016, au motif de sa collaboration avec au journal Özgür Günden, quotidien soutenant notamment les revendications kurdes. Elle a été remise en liberté, après quatre mois de détention, mais sous contrôle judiciaire et sans autorisation de quitter la Turquie. En septembre 2017, son passeport lui a été restitué et elle a pu se réfugier en Allemagne où elle vit depuis lors, son procès étant toujours en cours.
Derniers livres parus : Le silence même n’est plus à toi (Actes Sud 2017) ; L’homme coquillage (Actes Sud, 2018)
À paraître : Requiem pour une ville perdue (Actes Sud, avril 2020)
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Lettre du 28 janvier 2020
« Chers amis, chers collègues,
Comme vous vous en souvenez peut-être, j’ai été arrêtée le 16 août 2016, au prétexte que j’étais membre du symbolique comité consultatif de Özgür Gündem, un journal pro-Kurde, tout à fait légal, en même temps que les deux rédacteurs en chef. Bien que nous ayons été six à faire partie du comité consultatif, seule Necmiye Alpay, linguiste et critique littéraire, a été arrêtée deux semaines après moi. Les chefs d’accusation qui pesaient contre moi étaient « atteinte à l’unité de l’Etat » (réclusion à perpétuité aggravée) et « propagande et appartenance à une organisation terroriste » (jusqu’à quinze ans d’emprisonnement). Au bout de quatre mois et demi, j’ai été libérée mais l’affaire se poursuivait.
On l’a laissée traîner pendant trois ans, le procureur reportant continuellement le procès. Le mois dernier, un nouveau procureur a soudain pris une décision. Il a demandé que les rédacteurs en chef, ainsi qu’Eren Keskin, Président de l’Association des Droits Humains et ancien rédacteur en chef soient jugés pour avoir été membres du PKK (jusqu’à 15 ans d’emprisonnement). Il a aussi demandé une peine de prison de 2 à 9 ans pour moi, pour quatre articles que j’ai écrits, disant qu’il s’agissait de propagande.
Le plus absurde est que ces articles ont été publiés en 2016 et qu’ils n’ont alors suscité ni procès ni même une enquête. En fait aucun de mes articles dans toute ma carrière n’a jamais entraîné de procès. L’un d’eux est un monologue intérieur, un texte en prose intitulé, Journal du fascisme : aujourd’hui.* Il n’y a presque rien de politique dans ce texte, il est tout à fait abstrait et ne fait référence ni à un lieu ni à une époque. Il s’agit d’une description littéraire de la destruction intérieure d’un individu sous un régime autoritaire ainsi que du lourd poids qu’implique d’être témoin. En fait cet article a été inclus dans Le silence même n’est plus à toi et a été publié par plusieurs éditeurs dont Actes Sud, Penguin Knaus, Gyldendal, Ramus et Potamos notamment. Le livre a été récompensé par plusieurs prix littéraires.
Maintenant les éditeurs de plus de douze maisons d’édition, ainsi que plusieurs membres appartenant à des jurys littéraires sont indirectement tenus responsables de propagande terroriste. Le procureur affirme que j’ai fait des commentaires sur des « civils assassinés », alors qu’aucun « civil » n’a jamais été assassiné et que donc j’essaie de représenter les membres du PKK assassinés comme des « civils », en conséquence de quoi je fais de la propagande, etc. Je suis certaine que ces éditeurs ne savent même pas pour quelle organisation ils sont censés avoir fait de la propagande !
Mais l’attaque contre mon œuvre littéraire ne s’arrête pas là. L’un des articles qui figure dans mon dossier s’intitule « Le plus cruel des mois : avril », en référence à T.S Eliot. Il décrit la mort d’un chien errant dans une ville entièrement en ruines. Étrangement, aucun des articles où je décris comment des civils ont été effectivement massacrés ne figure dans le dossier.
Le procès est pour très bientôt, avant qu’aucune vraie solidarité ou réaction forte n’ait le temps de s’organiser : le 14 février, jour de la Saint-Valentin.
J’en appelle instamment à vous pour que vous protestiez contre ce qui attaque très gravement la liberté d’opinion, d’expression et bien plus… La Turquie a lancé une guerre totale contre les Droits Humains, la littérature et pire encore, la CONSCIENCE, par son insistance à me poursuivre.
Mes salutations,
Asli Erdogan