Arrêtons le massacre !

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Après une année 2016 affreuse pour l’industrie française arrive une année 2017 sous les mêmes auspices, pas étonnant, on ne modifie pas en quelques semaines toute une culture qui tourne le dos au secteur de production. Dans ce désastre conséquence de plus de vingt ans d’obscurantisme, le pire c’est de subir les commentaires des politiques et de journalistes et la désespérante vacuité des débats et des documents présentés sur toutes les chaines de télévision. Aucune réflexion, aucun travail élémentaire ne viennent tempérer des avis tranchés et définitifs dénués à la fois de réalité et de compétence.

Au risque d’être accusé de « radoter » je maintiens que nous avons toujours voulu dans notre pays faire de l’industrie sans capital, que dans la compétition mondiale nos industries ont besoin de fonds propres, que nous avons l’épargne nécessaire, mais que nous ne la mobilisons pas pour nos usines car nous ne sommes pas incités à le faire, bien au contraire. La seule bonne nouvelle de ces dernières années a été la constitution de la BPI, Banque Publique d’Investissements, et la liberté d’action donnée à son dirigeant et à ses collaborateurs qui ont orchestré un renouveau du secteur productif national. Cependant une hirondelle ne fait pas le printemps et l’ensemble du secteur financier français reste parfaitement fermé aux risques à prendre dans le secteur productif en arguant des dispositions prudentielles prises par la Banque Centrale Européenne ! Les Allemands, comme les Italiens se débrouillent, certains responsables de banques françaises aussi dans certaines régions, mais c’est très insuffisant et notre centralisation abusive conduit à beaucoup d’abandons des « territoires » comme on dit maintenant. L’industrie va revivre à partir des localités, des initiatives régionales à travers le pays, la BPI l’a bien compris, pourquoi pas les autres ? J’ai noté un commentaire en ce sens de l’expert Jean-Marc Sylvestre, si nous ne fléchons pas l’épargne vers le secteur productif, nous ne sortirons pas de notre marécage actuel.

Mais le changement culturel que nous devons opérer est tout aussi nécessaire, celui de commencer par un diagnostic partagé, c’est-à-dire accepté par les acteurs, avant de décider si telle ou telle opération est bonne ou mauvaise pour le pays. La propension des commentateurs à vouloir démontrer que ce qui est bon pour l’Europe est bon pour la France , leur capacité à résumer en quelques lignes la puissance des chiffres d’affaires composés lors des fusions, l’atmosphère de « Monopoly » qu’ils font régner, sont très éloignées des réalités industrielles. Si nous voulons rebâtir une industrie florissante en France , et nous le pouvons, n’en déplaise aux grincheux, il faut éviter de massacrer les lambeaux de notre secteur de production , l’aider à évoluer, et accepter la création de nouvelles entités avec des francs-tireurs prêts à assumer les risques de la compétition mondiale. Si nous n’acceptons pas de comprendre qui sont ces êtres originaux qui sont prêts à s’engager corps et âme dans la création de nouvelles entreprises jouant à l’international, si nous continuons à caricaturer leurs motivations et à encenser les conformistes qui nous ont déjà envoyés dans le mur, effectivement ce sera dur de redresser le pays. Peu importe d’où viennent ces individus, apprentis ou diplômés, ils ont une vision, une résistance et une capacité d’entrainement d’un collectif qu’il est facile de reconnaitre !

Alors que s’est-il passé ces derniers jours, et ces derniers mois ? Nous nous sommes une fois de plus payés de mots, on a fait de la « com » et on a essayé de faire taire les réalités. J’ai entendu un  expert( ?) dire que nous avions eu tort de faire des conglomérats ! Mais ce sont des conglomérats General Electric et Siemens qui nous ont racheté ! J’ai vu et entendu une journaliste « moucher » Elie Cohen qui est un des rares analystes industriels français en lui disant que l’analyse du passé n’était pas pertinente, j’ai entendu le même jour que l’absorption des Ciments Lafarge par le Suisse Holcim était un grand succès pour notre pays … arrêtons le massacre , et , comme l’a bien dit Louis Gallois «  je suis triste pour mon pays «

Comme je l’ai annoncé dans ma dernière rubrique je vais dire, de façon laconique, ce que je pense des derniers(?) soubresauts de l’ancien conglomérat CGE, à savoir Alstom-Transport et Chantiers de l’Atlantique.

L’origine du mal a été le démantèlement du groupe avec la théorie stupide des »pure players », d’un coté Alstom-Atlantique, de l’autre Alcatel, avec ensuite la fusion stupide Alcatel-Lucent, le démembrement Alstom, cession des Chantiers aux Norvégiens… Vingt ans de mauvais management .

Au moment de la vente de Alstom-Energie à General Electric, ce qui arrive maintenant est déjà décidé ! Avec un ensemble on peut négocier, avec une partie, le ferroviaire, on ne peut que subir ! Déjà Siemens était en 2014 trois fois plus gros qu’Alstom, maintenant c’est dix fois, la messe était dite dès la première cession,  je l’ai dit et écrit les cocoricos de l’époque ne changeaient rien à la réalité. Désormais on peut espérer que l’ensemble « avalera » un jour prochain le département ferroviaire du canadien Bombardier alors que si Alstom-transport était resté seul il aurait été la proie attendue « à la casse » de l’ensemble Siemens-Bombardier. L’issue n’est pas glorieuse, mais les responsables d’aujourd’hui n’ont pas lieu de subir l’opprobre, ils peuvent néanmoins s’abstenir de crier victoire ! Le drame, néanmoins, c’est que la compétition a toujours été acide entre Alstom et Siemens et qu’il va falloir des doigts de fées pour redonner le moral aux troupes, les doubles langages peuvent amuser les commentateurs, ils plaisent moins aux acteurs qui ont besoin d’enthousiasme et non pas de numéros de music-hall.

Pour les Chantiers Navals, le mal vient aussi du point de départ, et alors que tout le monde avait mis une croix sur cette activité, la voilà qui renait avec un industriel talentueux dont l’actionnaire coréen fait faillite. Comme nous n’avons pas résolu notre problème de financement de l’industrie(voir plus haut), ce sont les italiens qui achètent nos Chantiers à la casse , et nous voilà marrons ! Mais dans cette aventure maritime les chiffres d’affaires sont moindres et nous avons un champion anciennement DCNS, désormais Naval Group avec un industriel compétent à la tête. Naval Group « pèse » 30% de plus que le Chantier Italien Ficantieri et s’il avait absorbé les Chantiers de l’Atlantique il serait deux fois plus gros que son concurrent italien. L’essentiel est apparu là de préparer une coopération franco-italienne en allant pas à pas et en gardant des possibilités de retour si cela se passait mal. Le problème est celui de la coopération de Ficantieri avec les Chinois  qui sont en compétition frontale avec Saint-Nazaire ! La solution trouvée, je l’espère, a le soutien des intéressés, elle ouvre un avenir qui est encore possible, elle « récupère » un peu une situation compromise par dix années d’abandon. Ce n’est pas pour autant que je crierai au miracle ! Mais là, au moins, on tient compte de la nécessité pour les équipes de mieux se connaitre, de réaliser des projets en commun, et on envisage des évolutions selon les résultats, on sent que les responsables ont eu la volonté de tenir compte de la motivation à retrouver chez le personnel d’exécution

Maintenant, comme je l’ai déjà dit, arrêtons le massacre, retrouvons des marges de manœuvre avec des fonds propres susceptibles non de se faire absorber mais de grossir en en absorbant d’autres, c’est possible lorsque les industriels sont talentueux comme on l’a vu avec l’Air Liquide, avec Peugeot et Renault, et tout récemment avec Dassault Systèmes qui a racheté l’américain EXA…

Loïk Le Floch-Prigent

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