TRIBUNE des associations pour dénoncer l’absence de dialogue environnemental sur la gestion des inondations
Les associations varoises de protection de l’environnement lancent une tribune afin d’interpeler la population et les pouvoirs publics sur la dégradation constante des relations avec l’administration. À l’instar de la réunion du 7 novembre dernier au quartier de l’Oratoire à Hyères, les associations prennent désormais l’initiative de boycotter les rarissimes réunions publiques afin de dénoncer la mise en scène d’un débat public qui ne l’est pas réellement.
Des simulacres de réunions de concertation !
Présidente de l’association Var Inondations Écologisme “Vie de l’eau” depuis près de trente ans, Josette Fays a vu se succéder une dizaine de préfets du Var et de nombreux maires d’un bout à l’autre du département. Elle dresse le constat d’un manque d’échanges et d’initiatives de la part des pouvoirs publics :
“Dans le département du Var, nous ne comptons plus les collectifs et associations varoises qui se sont créés à la suite des catastrophes liées aux inondations au cours des dernières années. Pourtant, notre parole n’est pas entendue, et lorsque nous sommes associés aux rares réunions publiques, on doit accepter qu’on nous délivre la messe et on fait bien peu de cas de notre expérience de terrain ! Or, nous sommes entourés de professionnels de pointe, nous avons une connaissance très détaillée du département et surtout nous avons une antériorité avec laquelle bien peu d’agents de préfecture ou des collectivités peuvent rivaliser. Beaucoup de réunions publiques sont annulées au dernier moment et reportées sans justifications ni dates. Et lorsque l’une d’entre elles se tient enfin, non seulement on ne nous communique aucun document à l’avance, on nous fait visionner un powerpoint et puis la messe est dite. C’est un simulacre de réunions de concertation qui permet aux administrations de faire comme si nous avions donné notre aval mais en réalité on ne peut pas s’exprimer. Nous sommes souvent contraints de saisir la CADA pour obtenir la communication de certains documents, c’est très décevant !
Le constat est partout le même dans tout le département du Var, qu’il s’agisse du Gapeau à Hyères, de l’Eygoutier à La Garde, du Carrubier à La Londe, de l’Argens, de la Dracénie, etc.”.
Pourquoi les associations seraient-elles toujours obligées de saisir les tribunaux ?
Christine Watel, présidente du CIL La Grenouille au Pradet dénonce l’ambivalence des collectivités qui votent des projets contraires à leurs intérêts pour des raisons diplomatiques, mais qui s’attendent ensuite à ce que les associations saisissent le tribunal administratif pour en obtenir l’annulation.
“C’est le cas par exemple du projet de pôle de valorisation des déchets du Pradet validé par la métropole alors que ce projet n’est pas viable, autant sur les risques que pour les installations démesurées au regard de la superficie du terrain.
Cependant, la métropole n’en démord toujours pas, alors que les pradétans qui connaissent bien les lieux savent que le terrain choisi comporte un risque inondation majeur. Une installation classée est même prévue sur le site, alors qu’on est dans le périmètre rapproché des puits de Fontqueballe et de La Foux qui alimentent en eau potable les gardéens et les pradétans. Comment fera-t-on lorsqu’on aura pollué cette ressource naturelle précieuse et que notre bassin de population sera privé d’eau potable ?! Des accidents de ce genre se sont produits en Bretagne et ailleurs. Mais impossible de faire entendre raison à la métropole ! Nous avons dû saisir le tribunal administratif de Toulon et nous recevons le soutien discret de certaines administrations qui ne souhaitent pas dévoiler publiquement leur opposition au projet !
On fait le sale boulot pour les collectivités. Ce n’est pas le rôle des associations de déposer des recours. Les associations sont vigilantes pour dénoncer les projets qui mettent la population en danger. Il est préférable d’organiser des réunions de concertation avant de nous mettre devant le fait accompli”.
Des années qu’on nous dit oui, mais rien n’avance !
Christiane Grandchamp s’est investie dans le milieu associatif depuis plusieurs décennies. Cette riveraine du fleuve de l’Eygoutier, dans le plan de La Garde, a vu sa propriété devenir de plus en plus inondable au gré de l’urbanisation des communes environnantes qui accentue le risque inondation.
Elle dresse le constat du manque de considération pour les propositions faites :
“Les projections montrent que la maison que j’habite depuis 1975 se retrouvera demain sous plus de deux mètres d’eau en cas de crue centennale. C’est la conséquence logique de la bétonisation et de l’imperméabilisation des sols sur les communes de La Garde, Le Pradet, La Crau, Carqueiranne, La Valette et La Farlède qui dirigent toutes leurs eaux vers le plan. La maire de La Garde ne veut pas entendre parler d’un second tunnel au pont de La Clue. On attend donc que je perde tout ou que je me noie à la prochaine inondation ?! Je demande juste l’autorisation de surélever mon habitation. La préfecture nous dit oui en réunions publiques, ils nous font de grands sourires, mais derrière rien n’est fait et nous ne les voyons plus! “
Le pouvoir judiciaire a du mal à suivre, le pouvoir exécutif a du mal à agir
Claude Jauffret, président du CIL du Pradet Nord Est :
“Que penser de l’absence de réponse du procureur de la république à une plainte portée conjointement par un particulier et l’association de défense du plan de La Garde au sujet du relèvement de plus d’un mètre d’un terrain en zone naturelle inondable dans le but d’y installer des mobil-homes ? Pourtant la plainte était accompagnée d’un constat d’huissier …
Lorsque les pluies torrentielles, pas si rares que cela maintenant, emportent sur leur passage caravanes, pneus et autres détritus issus d’installations illicites, formant ainsi des embâcles dans les fossés, comme cela s’est produit sur la commune de Roquebrune-sur-Argens, le préfet et les maires s’accordent pour annoncer des mesures concrètes, qui restent lettres mortes.
Nous sommes des bénévoles, respectez-nous !
Marc Volpin est ancien avocat, intervenant aujourd’hui comme juriste bénévole et chargé de communication chez France Nature Environnement dans le Var :
“Les problématiques liées à la gestion des risques naturels sont confiées à des équipes dans lesquelles on retrouve très peu de juristes. Il en ressort de graves confusions dans les procédures et cela nous fait perdre en efficacité.
Il y a un travail de formation des agents à effectuer, et surtout de meilleurs échanges sont nécessaires entre les services et avec les associations. Lorsque nous prenons la parole en réunions publiques, il ne faut pas oublier que nous sommes de simples bénévoles et que nous posons parfois une journée entière pour y assister et satisfaire aux exigences légales de dialogue environnemental auxquelles je rappelle que l’administration est tenue. Il est regrettable, et à vrai dire très facile, de nous faire passer pour des opposants politiques lorsque nous soulignons l’absurdité d’un projet. Nous ne sommes pas dupes non plus des grands sourires faits en public lorsqu’ils ne s’accompagnent pas d’actions concrètes. Aujourd’hui, travailler sans nous, c’est se priver du terrain et c’est surtout perdre beaucoup de temps. La main reste donc tendue !”
À La Londe, au Lavandou et à Bormes, jamais de réunion de concertation !
Jean-Pascal Curnillon, président de l’association des Inondés du Lavandou et de Bormes les Mimosas :
“Il faut toujours avoir à menacer la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures pour qu’elle fasse l’entretien des cours d’eau, on est en permanence obligés de leur dire qu’on va faire une sortie médiatique, sinon ils ne font rien. Et ça, ça devient inadmissible pour tous les adhérents qui risquent gros à chaque inondation. A Bormes, les travaux n’ont pas été réalisés. Nos propositions sont tenues à l’écart et nous ne sommes jamais informés. On n’est au courant de rien ! Nos élus doivent nous faire un peu confiance pour le travail qu’on peut leur apporter au titre des risques naturels !”
En Dracénie, on ne communique pas sur les travaux !
Bibiane Nioucel, membre du conseil d’administration de l’association Vie de l’Eau en charge des dossiers de la Dracénie :
“ Je déplore le manque de communication du Syndicat Mixte de l’Argens avec lequel notre association a pourtant toujours travaillé en partenariat positif, en siégeant aux différents comités de pilotages et de concertations. Nous faisions remonter les informations recueillies auprès de nos adhérents et autres riverains des cours d’eaux. Depuis l’élection en 2020 de monsieur Brémond au poste de Président du syndicat mixte de l’Argens, nous avons le sentiment d’avoir été mis à l’écart. Le site internet du syndicat mixte de l’Argens n’est pas davantage renseigné, impossible d’y trouver des informations précises, et plus aucune réunion n’est portée à l’agenda !! Donc soit le syndicat mixte de l’Argens ne réunit pas ses comités, soit les invitations ne nous parviennent pas. Mis à part une réunion officielle de chantier en décembre 2023, pour faire le point sur les travaux de Trans-en-Provence, nous ne sommes pas informés du détail des travaux en cours. Nos adhérents sont donc laissés sans informations…”
À l’Ayguade, à Hyères, aucun changement à l’horizon !
Evelyne Curnillon, présidente de l’association nautique du port de l’Ayguade :
“La problématique de l ‘association nautique de l’Ayguade reste toujours l’ensablement de l’entrée du port, ce qui entraine l’inondation de la plaine de l’Ayguade lors des fortes crues du Gapeau. Les autorités portuaires sont de bonne foi dans la théorie, mais sur le terrain rien ne se passe malgré nos interventions auprès des diverses autorités”.
À Pierrefeu, la justice nous donne raison mais notre avis ne compte toujours pas !
Eliane Jartoux, présidente de l’association des riverains du Réal Martin du Pont Vieux à l’Ecluse de Pourret dénonce la persistance de l’administration à déployer un projet de route dans un secteur inondable :
“Nous avons obtenu en 2017 du tribunal administratif de Toulon l’annulation de l’arrêté d’août 2014 par lequel le Préfet du Var avait déclaré d’utilité publique la réalisation d’une voie de contournement Nord sur notre commune, ce qui a ensuite été définitivement confirmé par la Cour Administrative d’Appel de Marseille le 19 juin 2021, estimant que le projet ne répondait pas à la sécurité indispensable invoquée dans le dossier d’étude ni à certains objectifs environnementaux.
Malgré cela, la mairie ne répond pas à notre demande de modification du plan local d’urbanisme qui comporte toujours un ensemble d’emplacements réservés pour la réalisation de ce tracé. Le plan de prévention des risques naturels d’inondation prescrit le 26 novembre 2014 n’a toujours pas été mis en place alors que les inondations à Pierrefeu sont récurrentes et particulièrement destructrices. Nous observons au contraire que des maisons continuent de se construire en zone inondable en contrebas de la RD412 dont le toit arrive au niveau de la route. En 1989, à cet endroit précis, la route était entièrement submergée et les pompiers ont dû secourir la population avec des zodiacs. En 2014, des véhicules ont été retournés et une personne s’est noyée sur la zone choisie”.
À La Londe, la ville peut-elle encore préserver son littoral ?
Durelli Giuseppe, président de l’association Les amis des Bormettes :
“Notre association reste une voix non entendue par la commune qui cède à la pression foncière. Il nous est difficile de comprendre le processus de transformation du dernier espace naturel en bord de mer à La Londe les Maures. Naval Group et la commune se préparent à déployer sur le dernier espace naturel en bord de mer un projet tentaculaire dont les enjeux financiers et touristiques cadrent mal avec le caractère inondable de la zone. Le Maravenne, et le Carrubier convergent tous deux dans cette zone d’accès à la mer. Le programme d’actions et de prévention des inondations va créer un nouveau risque inondation pour le quartier, par ce bras de dérivation du Maravenne. Son débordement est inéluctable par les bouchons sableux habituels dans les estuaires situés sur l’arc méditerranéen. De plus il met en danger la nappe phréatique importante des Bormettes par biseau salé. De nombreuses remarques ont été formulées à la concertation publique mais ne semblent pas prises en compte. Une saisine du tribunal administratif est en cours et des expropriations restent à réaliser…
Nous souhaiterions que l’on pense un peu plus à l’intérêt général et que le Carrubier soit enfin reconnu comme un cours d’eau. Le peu de terrains qu’il nous reste doit être conservé comme zone d’expansion de crues.
À La Garde, nos adhérents sont révoltés et se sentent abandonnés !
Nicolas Pigaglio, président de l’Association de Défense du Plan de La Garde, dénonce le manque d’écoute des autorités au vu des infos de terrain que font remonter les associations.
“Au niveau de l’Etat (préfecture, tribunal, …), les interlocuteurs ne sont là que pour deux ou trois ans : ils ne s’investissent pas dans des problèmes de fond qui risquent de les discréditer et préfèrent traiter les affaires courantes, sans faire de vagues. Nous pouvons constater cet état de fait lors des grandes décisions concernant les inondations, les occupations illégales de terrains en période estivale, etc… Des réunions stériles sont organisées qui ne débouchent sur rien de concret.
Au niveau local, que ce soit municipal ou métropolitain, nos édiles sont tellement préoccupés par leur popularité qu’eux non plus ne prennent pas les décisions qui s’imposent. Leurs équipes font bien souvent preuve d’un manque de connaissance des procédures applicables dans leur propre domaine de compétence, associé à un zèle minimal.
Cette déliquescence de la responsabilité publique entraîne un sentiment d’abandon de la part de nos adhérents ainsi qu’un éloignement de la notion d’Etat de Droit”.
COLLECTIF D’ASSOCIATIONS
Var Inondations Écologisme
France Nature Environnement dans le Var
Association des Inondés du Lavandou et de Bormes les Mimosas
Association de défense du plan de La Garde
CIL La Grenouille
CIL Pradet Nord Est
Association Nautique du Port de l’Ayguade
Les amis des Bormettes
Association des riverains du Réal Martin du Pont Vieux à l’Ecluse de Pourret