La servante au grand cœur
Voilà une bonne pioche d’André Neyton directeur du Comedia : Isabelle Andréani (nomination aux Molières 2019) dans une adaptation d’un des trois contes de Flaubert « Un cœur simple »
Un chef d’œuvre de la littérature française
Les pages de cette courte nouvelle sont d’une prenante intensité. Flaubert y évoque l’existence de Félicité, servante à Pont-l’Evêque en Normandie, dans la première moitié du dix-neuvième siècle. Cette femme humble, courageuse et d’une grande bonté entre au service de Madame Aubain en 1810, veuve autoritaire et froide, mère de deux jeunes enfants Paul et Virginie. À dix-huit ans, Félicité traîne déjà un passé douloureux et misérable. Orpheline de bonne heure et délaissée par ses sœurs, elle est recueillie dans une ferme où le labeur est bien dur pour une petite fille. Une enfance triste qui la plonge dans une solitude qui ne la quittera jamais.
Loulou le perroquet
Tout au long de sa vie, la servante se dévoue corps et âme. Un cœur bon et grand comme le sien est sans cesse incompris par les hommes et les femmes qu’elle côtoie. On profite de sa générosité et de sa gentillesse. Théodore son fiancé lui promet le mariage puis la trahit sans ménagement, Madame Aubain exerce sur elle une autorité d’une froideur implacable, et sa sœur lui confie de temps à autre son fils uniquement par intérêt. Et lorsqu’elle se prend d’affection profonde pour des personnes, celles-ci sont emportées par la mort ; la petite Virginie à la santé si fragile et son neveu Victor.
Elle sombre dans un piétisme enfantin et s’entiche d’un perroquet, Loulou, qu’elle confondra avec le Saint-Esprit. Mais, lui aussi, finira par mourir (le Perroquet)… elle l’empaillera. Une fusion mystique qui laisse le lecteur bouleversé mais sans rhétorique. Il veillera sur elle et son esprit jusqu’à la fin de sa vie. Il l’emmènera sur ses ailes vers son dernier voyage. Une fusion mystique qui laisse le lecteur bouleversé.
Un style incomparable
Le style de Flaubert est travaillé jusqu’à la perfection, l’épure des phrases, les temps savamment choisis, des points de vue différents, une construction efficace qui va à l’essentiel, pas de détails en trop, pas de pathos, pas d’ornements, pas d’envolés romanesques, un vocabulaire emprunté au milieu bourgeois normand, on est dans la réalité de l’époque, les mots sonnent juste. Aucune description n’est inutile et anodine. C’est à travers certains paysages et certains objets qu’on entrevoit les pensées de Félicité. On devine aisément la critique de la société bourgeoise, la politique et la religion mais la tendresse éprouvée pour Félicité transparait avec évidence et pureté.
Un mysticisme de l’humilité
Frôlant les étoiles, le texte atteint au sublime dans les dernières lignes de la nouvelle que nous ne pouvons résister à citer ici «Les mouvements de son cœur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s’épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête. »
Question : est ce que ce texte est transposable dans une théâtralisation sous forme d’un monologue ? La réponse sera donnée au public le 5 novembre a partir de 20h45 au Comedia de Toulon. En tout cas, soulignons que le talent d’Isabelle Andréani a fortement ému lors du Festival d’Avignon. Un spectacle de la Cie des Larrons, mis en scène par Xavier Lemaire, où texte et l’émotion théâtrale étaient au rendez-vous.
Espace Comedia 10 rue Orves Toulon 04 94 42 71 01
Jean-François Principiano