Fraude aux « CumCum » : 13 banques en redressement pour avoir soustrait des milliards d’euros au fisc
Le Crédit Agricole a reconnu devant la justice avoir participé à la fraude aux « CumCum » qui consiste à éviter la taxe sur les dividendes. Mais d’autres établissements sont mis en cause. Selon la Cellule investigation de Radio France, 13 banques sont dans le viseur de Bercy.
Dans la salle d’audience du tribunal judiciaire de Paris, lundi 8 septembre, Bruno Fontaine s’avance timidement à la barre. Responsable de la filiale d’investissement du Crédit Agricole, il reconnaît d’une petite voix que sa banque a fait de l’arbitrage de dividendes pour des clients étrangers. Autrement dit : la banque leur empruntait provisoirement leurs actions pour éviter de payer la taxe sur les dividendes. Il vient valider la convention judiciaire d’intérêt public qu’il a signée avec le Parquet national financier (PNF) quelques jours auparavant.
Blanchiment de fraude fiscale : le Crédit agricole convoqué devant la justice
Cette convention négociée se traduit par une amende de 88 millions d’euros pour blanchiment aggravé de fraude fiscale aggravée en échange de l’extinction des poursuites contre la banque. Si la transaction met fin à l’action publique contre l’entreprise, la justice pourrait très bien poursuivre des traders, banquiers ou avocats fiscalistes qui auraient initié ces opérations. « Ce n’est pas une histoire de personnes mais d’institution », explique Bruno Fontaine à la barre du tribunal.
Sept ans après les révélations du consortium de journalistes d’investigation Correctiv(Nouvelle fenêtre) sur les Cum Files, un établissement bancaire français change enfin officiellement de discours. « Les Cum Cum sont un phénomène majeur de fraude qui a permis à des investisseurs étrangers de frauder le fisc français avec la complicité d’établissements bancaires qui y ont trouvé une rémunération », détaille le procureur Jean-François Bohnert.
Une perte de 33 milliards d’euros pour la France
Cum signifie « avec » en latin mais une traduction plus juste serait « gagnant-gagnant » : pour la banque et son client, au détriment du fisc. Ces montages financiers ont fait perdre plusieurs dizaines de milliards d’euros aux caisses de l’Etat. Selon un calcul de l’université allemande de Mannheim réalisé en 2021, les finances publiques européennes cumuleraient un manque à gagner de 140 milliards d’euros et la France serait la plus touchée avec 33 milliards d’euros depuis le début des années 2000. Un calcul contesté par la Fédération bancaire française qui avance plutôt celui de l’Autorité des marchés financiers (AMF) : 200 millions d’euros par an, calcul lui aussi très approximatif. D’autres professionnels de la finance estiment au contraire que ce calcul est bien en dessous de la réalité.
Mais au tribunal judiciaire de Paris, le 8 septembre dernier, le responsable de la filiale du Crédit Agricole ne conteste pas les faits, il vient solder le passé, rompre avec des pratiques frauduleuses. « Ce qui a été complexe pour les enquêteurs était de séparer le bon grain de l’ivraie », reconnaît la vice-procureure Claire Le Maner. La magistrate, ancienne tradeuse de 2007 à 2017, fait plonger l’auditoire dans les coulisses d’une salle de marché et détaille, schémas à l’appui, l’arbitrage de dividendes. Ce jeu de bonneteau consiste à emprunter les titres d’un investisseur étranger juste avant le versement des dividendes pour les lui rendre ensuite. L’investisseur évite l’impôt. La banque, en tant qu’établissement français, ne paye pas de taxe et empoche une commission pour le service rendu à son client.
« Ce n’est pas une technique d’optimisation fiscale, mais une fraude »
« Les Cum cum : c’est légal. C’est de l’optimisation fiscale », ont expliqué à la Cellule investigation de Radio France plusieurs investisseurs, gestionnaires de patrimoine ou traders. « On savait que ce n’était pas fair-play vis-à-vis du fisc », admet tout de même une ex-salariée d’une grande banque française elle aussi mise en cause. Tous ces témoins expliquent aussi avoir eu l’aval de leur service juridique pour pratiquer ces transactions d’optimisation de portefeuille. « Ça n’est absolument pas une simple technique d’optimisation fiscale, c’est une fraude », estime, quant à elle, Florence Deboissy, professeur de droit fiscal à l’université de Bordeaux. « Si c’est uniquement pour échapper au paiement de la retenue à la source que les actions sont transférées, il s’agit d’un abus de droit, c’est une pratique abusive. »