L’histoire de ce livre est célèbre. Pour échapper à l’angoisse de l’épidémie de peste noire en 1348 un groupe de jeunes gens se retire sur une colline au nord de Florence.
Pour agrémenter leur séjour, ils décident que chacun d’entre eux devra raconter aux autres une nouvelle. Durant ce total de quatorze journées, ce sont cent nouvelles qui vont être racontées, cent histoires remarquables par leurs fraîcheurs et, surtout, leur joie de vivre.
La peur exacerbe la sexualité…
Ces nouvelles, dont trois ont été adaptées au cinéma par Pasolini, sont pour la plupart légères, fourmillant d’équivoques érotiques (quand il y est question de labourer un champ, c’est rarement en rapport avec l’agriculture…) et prêtant à rire : on n’est jamais loin de la farce, quasi contemporaine, pour ce côté mauvais tour joué à un sot – d’autant que si la foi en Dieu n’est jamais remise en question, le clergé par contre, tant masculin que féminin, en prend pour son grade et voit ses moindres vices, réels ou supposés, dévoilés (la première nouvelle de la troisième journée voit ainsi un jeune homme sourd et muet se faire littéralement épuiser par les occupantes d’un couvent…). On sait que la peur est un puissant aiguillon érotique pour toute société menacée.
…Et les plus grandes passions
Là se trouve l’autre grand thème de ce recueil, après l’érotisme égrillard : la célébration d’un certain nombre de vertus, au premier plan desquelles l’amitié, parfois sur le mode tragique – ce qui permet une agréable alternance de tonalité dans le recueil, qui serait lassant s’il n’était qu’érotique. Mais aussi la passion amoureuse, la volonté, le courage, l’abnégation.
La vertu est en embuscade…
Cette célébration vertueuse est toujours au détour des récits. Et surtout durant la dixième et ultime journée des récits, celle dont le thème est « Ceux qui ont accompli quelque geste plein de libéralité ou de magnificence en fait d’amoureuses prouesses ou en toute autre chose » – car il convient de préciser que chaque journée est placée sous le règne d’une reine (ou d’un roi) qui décide de l’objet dont doivent traiter les nouvelles racontées durant la journée en question. Ce système donne au Décaméron une grande cohérence dans la diversité, brisée seule par le privilège accordé à Dionée, l’un des trois jeunes gens, qui a le droit de conclure la journée, quel qu’en soit le thème, sur une nouvelle plaisante.
…entre espérance et angoisse.
Cette variété thématique et tonale, doublée de la sage alternance entre rire, pleurs et angoisse, empêche la lassitude du lecteur (ou plutôt : de la lectrice, Boccace précisant qu’il écrit avant tout pour les femmes), qui se réjouit pourtant du retour des personnages bouffons, tel Calandrino héros bouffon de quatre ou cinq nouvelles (Calandrino e il Porco Rubato).
Bref ce livre célèbre (en PDF gratuit sur le net) devrait ravir les confinés jeunes et moins jeunes qui se laisseront entraîner par le style italien vif, plaisant et coquin de Boccace.
Qui était Boccace ?
Giovanni Boccaccio (en français Jean Boccace, mais le plus souvent simplement Boccacio ou Boccace) est né en 1313 à Paris et mort le 21 décembre 1375 à Certaldo près de Florence.
Son œuvre en toscan, notamment son recueil de nouvelles le Décaméron, eut un énorme succès. Il est considéré comme l’un des créateurs de la littérature italienne en prose.
Boccace était le fils naturel d’un important homme d’affaires, Boccaccino di Chelino, originaire de Certaldo et d’une jeune parisienne. Son père le destinait au commerce, mais le jeune homme voulait suivre une carrière de poète. Pour l’éloigner des mauvaises fréquentations son père l’inscrit à la faculté de droit de Naples. Mais il lit les classiques latins, la littérature chevaleresque française, Dante et Pétrarque. Il refuse de devenir marchand.
La Peste noire 1348
En 1348, Boccace assiste aux ravages que la peste noire provoque dans toute l’Europe. Plus de la moitié de la population disparaît. C’est peut-être cette pandémie qui le décide à rédiger son chef-d’œuvre : le Décaméron. L’œuvre est un succès et se propage très largement après 1353. Elle lui vaut la reconnaissance de ses pairs et l’offre de nouvelles missions intéressantes par le gouvernement communal de Florence. Dans cette ville, il va occuper la chaire de littérature comparée qui vient d’être créée.
Retiré à Certaldo, il vit la fin de sa vie dans la misère. Enfin, en 1373-1374, il est invité par la ville de Florence à faire la lecture publique de la Divine Comédie de Dante (dont il fut le premier commentateur) dans l’église Santo Stefano di Badia. Mais sa mauvaise santé le contraint d’arrêter et il meurt à Certaldo en 1375, un an après la disparition de Pétrarque.
Pour aborder son œuvre on peut lire le Décameron en livre de poche ou encore voir le beau film de Pier-Paolo Pasolini.
Jean-François Principiano