Nous sommes en 1939, Chaplin écrit le scénario de son film « Le Dictateur ». Il a décidé de s’attaquer à Hitler, « ce tyran qui a osé lui voler sa moustache ». « Le Dictateur » marquera l’apogée de l’art de Chaplin mais aussi la fin d’une époque. C’est ce moment charnière de la vie de Chaplin que Cliff Paillé a choisi d’évoquer dans un spectacle que les Toulonnais peuvent découvrir vendredi 3 décembre au Comedia. Un très beau texte et une interprétation magistrale. La pièce dure 1h 15 minutes et mérite assurément le détour.
Un Chaplin résistant
Tout le monde connaît la fin du film, lorsque le barbier, interprété par Charlie Chaplin, sous l’apparence d’Hynkel-Hitler, adopte un ton radicalement différent du reste du film (l’essentiel du film étant joué dans le registre du comique burlesque et de la satire), pour une séquence porteuse d’un message politique profond. Apparaissant en plan fixe pendant un temps exceptionnellement long, Chaplin parle pendant plus de six minutes en s’adressant directement au spectateur. Dans cette séquence, le personnage du barbier laisse la place à Charles Chaplin lui-même. Cette scène, extrêmement puissante, pleine de courage et de lucidité, en 1939, montre un véritable acte politique engagé de la part de Chaplin. C’est sans doute ce qui a inspiré ce spectacle et qui a incité André Neyton à l’accueillir.
Interprété par Romain Arnaud-Kneisky on découvre ce Chaplin rebelle et combatif, sarcastique et brillant, qui refuse de se résigner. Et dans le même temps, on perçoit l’homme fragile et bouleversé, l’artiste qui se débat entre émotions, tensions, et humour.
Charlot intime
Face au sosie de Charlot, face à son épouse et à son frère Sydney, face au cinéma parlant, à l’arrivée de la couleur, face à son passé, son présent, ses mensonges, Chaplin va plonger dans une véritable tempête intime, aussi violente qu’inattendue.
Le texte de Cliff Paillé.
Rêvant sans illusion de changer le monde, persuadé de ne pas y parvenir mais voulant toujours essayer, l’écriture est pour Cliff Paillé un moyen d’interpeller. La mise en scène qu’il propose de son texte est une réécriture au plateau, où les lumières, les corps, les sons, les voix, les images, vont redistribuer les essentiels du texte, et reprendre la main sur les mots. En somme dans Chaplin, 1939 il a cherché à convoquer le fantôme de Chaplin, avec élégance, respect et subtilité, par des chemins sans cesse détournés
Un succès
La critique parisienne a très bien accueilli ce spectacle déjà donné au Lucernaire et à Avignon off « Il y a, comme toujours dans le travail de Cliff Paillé, le souci d’entrer dans l’intimité de ses protagonistes et nous exposer les tourments d’une âme en proie à ses démons et ses fulgurances. » L’interprétation de Romain Arnaud-Kneisky est remarquable de violence et de pudeur et on découvre en trois scènes comme une pièce en trois actes, trois visages d’un Chaplin secret, confronté à son épouse du moment, Paulette Godard, et l’indéfectible compagnonnage de son frère Sidney. La parfaite adéquation de jeu des comédiens emporte loin de toute convention théâtrale, pour découvrir derrière le miroir sans tain, le génie de Chaplin qui s’efface devant l’homme de conviction.
À voir le vendredi 3 décembre à 20h45 Espace Comedia Le Mourillon Toulon 10 rue Orves
Infos/réservations : espacecomedia.com tel 04 94 36 19 16
Jean-François Principiano