Jus Oblivionis Le droit à l’oubli numérique

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Les faits
En 2004, un instituteur a provoqué un accident mortel de la circulation. Il a été condamné  en 2006.
Ces informations étaient présentes dans les journaux de l’époque. Via les archives devenues numériques, elles sont accessibles au public actuel. Un journal a réalisé un montage dépréciatif de coupures de journaux de l’époque. Cet homme a alors estimé que son droit au respect de la vie privée et plus précisément, son « droit à l’oubli » en latin Jus Oblivionis* n’était pas respecté. Il s’est adressé à la justice pour demander réparation d’un tort moral – appelé préjudice moral – à l’éditeur du journal.
Au tribunal de première instance puis en appel, l’éditeur du journal a été condamné à « anonymiser » l’article : le récit des faits reste toujours accessible mais le nom du coupable ne figure plus dans les articles concernés.
Pas d’accord, l’éditeur s’est adressé à la Cour de Cassation pour qu’elle examine à son tour sa demande (autrement dit, il a introduit un « pourvoi ») ; la Cour a rejeté ce pourvoi. L’instituteur a  ensuite porté plainte pour information et publication à caractère diffamatoire.

L’Analyse 
Tout d’abord, la Cour estime que le droit à l’oubli numérique fait partie du droit au respect de la vie privée comme le nom, l’adresse, l’orientation sexuelle, l’image, la vie familiale… Même si ce droit n’est pas cité comme tel, il découle de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme.
La Cour dit ensuite que le droit à l’oubli doit permettre « à une personne coupable d’un crime ou d’un délit de s’opposer dans certaines circonstances à ce que son passé judiciaire soit rappelé au public ». C’est le cas si un ancien article est mis en ligne dans les archives d’un journal ou de tout autre média.
Ce droit à l’oubli n’est-il pas une limitation de la liberté d’expression des médias et du droit à l’information du public qui y est lié ?

Un conflit entre deux droits fondamentaux
La Cour de cassation soutient qu’il s’agit finalement d’un conflit entre deux droits fondamentaux : le droit à la liberté d’expression et le droit à la protection de la vie privée. Deux droits fondamentaux étant en conflit, les juges doivent trancher en cherchant à trouver un équilibre entre ces droits.
La Cour de cassation a estimé que les différentes juridictions avaient eu raison de trancher en permettant l’anonymisation de l’article : les faits ne disparaissent pas, l’article ou les articles sont toujours visibles dans les archives mais sans le nom de la personne condamnée. L’information est toujours en ligne et, en même temps, l’identité de l’homme est protégée.
La liberté d’expression ne peut toutefois pas être limitée dans n’importe quel cas, elle doit intervenir avec un but légitime : ici, protéger le droit à l’oubli.

Elle doit encore être « nécessaire dans une société démocratique » : cela veut dire qu’elle doit être proportionnelle à la demande, autrement dit « ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain », ne pas aller plus loin dans la limitation du droit (ici la liberté d’expression et le droit à l’information) que ce qui est nécessaire à la protection de l’autre liberté (ici le droit au respect de la vie privée) : dans cet exemple, il y a anonymisation mais pas suppression de l’ensemble de l’information. Dans cet ordre d’analyse citons le cas  d’un membre d’une association qui a été condamné pour avoir diffusé à tous les autres membres par emails, les attendus d’un procès en divorce pour diffamer son rival et l’empêcher d’accéder à la Présidence de l’association.

Conclusion : les faits demeurent, mais la publication par  lettres, photocopies ou rappel médiatique des noms des coupables ayant été jugés, est condamnable. Sinon la vie sociale serait un tissu de vieux linges sales du passé que chacun se jetterait au visage…

*Jus Oblivionis : droit de la personne dans la  Rome antique qui consistait à oublier (et non pas pardonner) une faute commise.

Sources : Sandrine Carneroli le Droit à l’oubli Éditions Larcier

 

Jean François Principiano
Professeur d’Éducation civique juridique et sociale (er) Lycée Dumont d’Urville Toulon.

 

 

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