Des drames et un système en crise depuis trop longtemps conduisent la Cour des comptes ( CDC ) à devoir réagir. Le système tient parce que le terrain résiste et « Soigner aujourd’hui c’est résister ! »
La loi de Santé de 1997 du « Tous aux Urgences » 24 heures sur 24 et sept jours sur sept sans conditions de restriction ni de critères définis, est remise en cause, les Services d’Urgences de plus en plus poussés à la faute n’en n’ont plus les moyens, la pression est devenue trop forte !
Le rapport du Sénat de Septembre 2017 annonçait déjà l’état de rupture atteint du système des Urgences en France et l’obligation d’y remédier, c’était il y a sept ans, rien n’a changé ! Pire, avec plus de 70 Agences et autre mille feuilles administratifs qui fabriquent de la norme et du contrôle et qui gravitent autour de la santé, le système de santé s’effondre ! « Il y a un vrai problème » reconnaissent les patients et les équipes soignantes de France.
Le nouveau rapport de la Cour des comptes du 19 Novembre 2024 sur l’accueil et le traitement des services d’Urgences hospitaliers de France confrontés au système de santé dans son ensemble a été publié et rendu publique.
Sans aucune surprise on peut valider ses conclusions connues et dénoncées par tous depuis trente ans et reprenant les mêmes que celles du Sénat : « les Urgences hospitalières constituent le réceptacle ultime et par défaut d’une grande partie des difficultés qui émaillent aujourd’hui les divers segments de notre système de Santé. Ils demeurent l’exutoire de tous les dysfonctionnements de ce système et meurent de recevoir en leur sein tout ce dont le système de soins ne peut ou ne veut plus s’occuper, les Urgences sont redevenues le point de chute de tous les débordements comme avant la pandémie du Covid-19 »
On peut y lire aussi: « La plupart des réformes ne sont pas à la hauteur des adaptations nécessaires à cause des résistances, on ne voit pas d’amélioration malgré le coût total de l’activité évalué à 5,6 milliards d’euros pour l’année 2023, ses 20,9 millions de passages annuels, soit un français sur trois, et la hausse croissante de + 6,6% annuels qui se poursuit inexorablement. Les services d’Urgences rencontrent de manière plus intense depuis la fin de la crise sanitaire des difficultés qui inquiètent à juste titre nos concitoyens avec des conséquences parfois très graves pour les patients ».
Ce rapport de la CDC acte une situation préoccupante notamment dans les flux d’amont qui résultent de deux évolutions démographiques contradictoires, la diminution d’accès aux médecins traitants sur une grande partie du territoire et une population âgée et dépendante en demande de soins croissants, deux phénomènes majeurs qui ne sont pas prêts de refluer et qui vont plutôt s’intensifier au cours des prochaines années
Trois messages clefs y sont mentionnés :
Premièrement, les Services d’Urgences sont sursollicités au-delà même de leur vocation en raison de l’insuffisance de l’offre de soins et de l’accroissement de la demande de soins sur une population vieillissante, poly pathologique et dépendante qui justifie une remise en cause globale de tout notre système de santé, Ville-Hôpital, afin de « recentrer les Urgences sur leur juste place et leur mission première ».
Deuxièmement, les services d’Urgences souffrent de plusieurs tensions internes, d’une part le manque de médecins Urgentistes dont 20% des postes restent vacants en l’absence d’attractivité et de forte pénibilité d’exercice et le manque de coordinations inter établissements pour la mise à disposition de lits d’hospitalisations dont 120 000 ont été fermés par manque de visions, de lucidité et de responsabilité politique.
Troisièmement, le manque de pilotage des capacités des Urgences et de l’échange des informations, et nous y rajouterons surtout le pilotage des prises de décisions concrètes de terrain et en temps réel à déconnecter des plans COM qui ne répondent pas aux demandes ni au principe de réalité. Les Urgences souffrent et subissent dans l’abandon plus du manque de pilotage opérationnel entre tous, en amont et en aval des Urgences, que du pilotage informationnel et communicationnel.
Toutes les tentatives de solutions et autres démarches n’ont pu répondre à l’ampleur de la situation et aux enjeux humains qui y sont liés. Les drames qui en découlent conduisent la CDC à interroger nos gouvernants et préconise de « Recentrer les Urgences sur leur cœur de métier » ce qui veut dire devoir changer la loi et impliquer enfin les élus législateurs car la loi actuelle de 1997 impose sans restriction ni critères définis « l’accueil inconditionnel du public 24 heures sur 24 et sept jours sur sept » selon l’Article R 6123-18 du code de santé publique.
Les législateurs sollicités devant la tension et la pression continue et la situation de crise devenue permanente vont devoir prendre leurs responsabilités, on ne remplace pas un système rendu indispensable et incontournable par la loi du « Tous aux Urgences » durant des années par un changement et un virage radical du jour au lendemain tant l’exercice parait difficile et périlleux au regard des habitudes données et l’absence de lisibilité à long terme sur la solution médicale d’amont.
Face à ces nouveaux choix et décisions lourdes de société nous ne pouvons que transmettre à tous notre expérience et nos vécus : La médecine d’Urgence est une leçon d’humilité permanente elle est devenue un « Art » difficile , y compris quand le malade est accessible à l’examen clinique, c’est-à-dire le principe de base de la médecine, sous nos yeux, sous nos stéthoscope et sous nos mains, il est un « Art » encore plus difficile et hautement périlleux à distance et à l’aveugle en médecine de Tri et de régulation médicale des Centres 15 par téléphone !
En ces temps de décisions radicales à prendre dans tous les domaines pour rompre avec les erreurs passées, redéfinir par la loi et impacter nos élus législateurs dans l’autorisation ou l’interdiction d’orientation des patients aux Urgences ne sera pas facile et tout aussi périlleux que la sélection des malades à y orienter.
Puissent cette volonté et ce courage politique, corriger ces erreurs et nous permettre, enfin, d’offrir à nos malades les conditions d’exercice en médecine d’Urgences que nos métiers particuliers exigent.
Dans l’attente les équipes de terrain qui tiennent tout, vont continuer à résister , parce qu’ aujourd’hui « Soigner, c’est résister ! »
Dr Vincent CARRET
AMUF